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LMD-ECTS : une réforme contre les droits étudiants

Publié le par Rudi Dutschke

Texte de novembre 2004 :

LMD-ECTS : une réforme contre les droits étudiants

 

1- Historique :

La réforme LMD-ECTS, adoptée au niveau national en 2002 et depuis appliquée progressivement sur les universités, fait partie d’une logique plus vaste. Il faut donc pour la comprendre revenir sur les réformes - et tentatives de réformes - de ces 20 dernières années :

- 1984, loi Savary. C’est notamment l’entrée des patrons dans les Conseils d’Administration des facs. Il y a par exemple dans les CA des universités des membres du Medef et de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises.

Cette loi augmente également l’autonomie des universités (inaugurée par la loi Faure de 1969).

 

 

- 1986, loi Devaquet. Projet qui prévoyait l’augmentation des frais d’inscription (qui devaient passer de 100 à 400 francs), la sélection à l’entrée des facs, la fin du cadre national des diplômes. Suite aux grèves et manifestations des étudiants et des lycéens, la loi est abrogée. Un étudiant, Malik Oussekine, est tué au cours de la répression d’une manifestation.

 

 

- 1989, projet Jospin. Cette réforme prévoyait plus d’autonomie pour les facs, et la mise en place d’une barrière sélective entre 1ere et 2e année de Deug. En 1991, un mouvement étudiant obtient son retrait, mais Jack Lang passe par décret l’essentiel du projet Jospin en 1992. C’est à partir de là que les contrats quadriennaux entre les universités et l’Etat sont systématisés.

 

 

- 1994, Smic-jeunes. Le « Contrat d’Insertion Professionnelle » (CIP) permet aux patrons de payer des diplômés à bac + 2 à seulement 80% du Smic. Le projet est retiré grâce aux luttes étudiantes et lycéennes.

 

 

- 1995, rapport Laurent. Ce rapport proposait l’augmentation des frais d’inscription et la suppression des bourses. Les grèves étudiantes et lycéennes obtiennent le retrait du rapport.

 

 

- 1997, réforme Bayrou. Réforme qui met notamment en place les semestres. L’année universitaire perd donc son unité et sa cohérence pédagogique. De plus, la session de rattrapage de septembre n’est plus garantie (chaque fac décide si elle a lieu ou non).

 

 

- 1998, rapport Attali et réformes d’Allègre. Le rapport Attali préconisait déjà la mise en place du « 3/5/8 », c’est-à-dire un système où seuls existent les diplômes en 3 ans, 5 ans et 8 ans (système aujourd’hui appliqué avec le LMD). Ce rapport prévoyait aussi « la fin de la validité permanente des diplômes ». Les grèves étudiantes de novembre-décembre 1998, bien que n’atteignant pas la majorité des campus, permettent le ralentissement de certaines attaques. Allègre met tout de même en place la « loi sur l’innovation », qui permet aux profs de créer des entreprises au sein des facs !

 

 

- 1999, licences professionnelles. Parmi les mesures inspirées par le rapport Attali que Claude Allègre met en place, les licences professionnelles sont un élément fondamental : présenté comme équivalent aux licences, ce diplôme est constitué pour moitié d’un stage obligatoire. L’étudiant paie donc ses études pour occuper la place d’un salarié, mais en travaillant gratuitement ! C’est à l’opposé des missions de l’Université, mais dans le parfait intérêt du patronat.

 

 

- 2002, réforme LMD-ECTS. Jack Lang annonce en avril 2001 la mise en place des diplômes à points (ECTS). La réforme est passée par décrets et arrêtés à la fin du mois d’avril 2002. Les grèves étudiantes, à l’automne 2002 et surtout en novembre-décembre 2003, n’ont pas eu d’ampleur nationale suffisante et donc n’ont pas permis d’obtenir l’abrogation de la réforme.

 

 

2- La réforme LMD-ECTS :

D’un point de vue juridique, la réforme LMD-ECTS est constituée de deux décrets et trois arrêtés : les décrets n° 2002-481 et 2002-482 du 8 avril 2002, l’arrêté du 23 avril 2002 (« MENS0201070A »), et les arrêtés du 25 avril 2002 (« MENS0200982A » et « MENS0200984A ») (ces cinq documents sont signés par Jack Lang et Lionel Jospin). Les principaux aspects de cette réforme sont :

 

- les diplômes à points (le système « ECTS[1] »). Le but de ce nouveau système est de supprimer les diplômes que l’on obtenait en passant des examens, qui validaient un savoir acquis pendant les cours et par le travail personnel de l’étudiant. Il s’agira, une fois ce système appliqué totalement, d’accumuler des points pour avoir son diplôme, que l’on pourra obtenir en validant des cours, mais aussi par d’autres activités (la loi ne pose aucune limitation !). C’est une dévalorisation très claire de ce qu’est l’Université.

 

- Le LMD (ou 3/5/8). Il s’agit de ne garder que trois niveaux de diplômes à la fac : Licence, Master et Doctorat. Cela entraîne la disparition des Deug (qui étaient à bac+2), maîtrises (bac+4) et DEA (puisque le nouveau diplôme « master », issu du système nord-américain, le « remplace »). Il s’agit notamment de rendre l’accès à un diplôme universitaire plus ardu : le taux d’échec est déjà important pour arriver au Deug (2 ans d’études validées), cela ne peut qu’empirer pour arriver à la licence (3 ans d’études validées).

 

 

- L’annexe descriptive aux diplômes. Avant cette réforme, les diplômes de chaque matière avaient la même valeur, quel que soit l’étudiant et quelle que soit l’université (seule différence : la mention obtenue). Avec l’annexe au diplôme instaurée par la réforme LMD-ECTS, le nom de l’université est précisé dans le diplôme : avec ce système c’est la réputation de l’université qui va influer sur la valeur du diplôme ! C’est donc un système injuste, qui crée une inégalité entre ce qui était auparavant les mêmes diplômes.

De plus, avec l’application du LMD-ECTS, « les contenus de formation ne sont plus définis nationalement » (Luc Ferry, 7 octobre 2002). En effet, à cause de cette réforme il n’existe plus de maquettes nationales des diplômes : tout est défini fac par fac. Les diplômes n’ont plus de nationaux que le nom, et ils deviennent en réalité spécifiques à la fac et à la région. C’est la suppression d’un droit étudiant fondamental : l’égalité des diplômes.

 

 

Au delà de ces éléments, la réforme LMD-ECTS est une étape de plus pour toute une série d’offensives contre les droits étudiants et pour la marchandisation des universités. Voilà les principaux « chantiers » actuels, dans lesquels le LMD s’inscrit totalement :

 

- la multiplication des barrières sélectives. Depuis la fin des années 70, on est de moins en moins à la fac pour acquérir des savoirs, mais uniquement pour passer des examens (qui ont eux-mêmes perdus de leur intérêt : les dissertations de 3 ou 4 heures remplacées par des QCM, par exemple, sont une absurdité pédagogique). Aujourd’hui le DEUG disparaît, mais la barrière sélective - qui avait été instaurée à bac + 2 lors de la création du DEUG - reste, ainsi que la barrière sélective à bac + 1, qui n’a pas la moindre justification. Toute barrière sélective sans sortie diplômante est sans intérêt, sauf s’il s’agit de décourager les étudiants et de les inciter à quitter la fac.

 

- Les stages. Les stages dans le cadre des cursus universitaires n'ont de véritable intérêt que pour les patrons. D'une part, un étudiant en stage n'est pas à la fac et donc ne coûte rien, ensuite en entreprise le stagiaire occupe la place d'un salarié, mais sans être payé !

Il faut savoir que le code du travail impose que lorsqu'un salarié est embauché, l'entreprise doit le former, ce qui représente pour le patronat un coût. Le but des stages est pour les entreprises de transférer ce coût vers les étudiants, futurs salariés.

Les gouvernements répètent régulièrement qu’il faut développer les stages pour lutter contre le chômage des jeunes. Ce n’est que de la pure propagande : d’une part, s’il n’y a qu’un million d’emplois pour deux millions d’étudiants, on pourra réformer l’université dans tous les sens, il n’y aura toujours qu’un million d’emplois pour deux millions d’étudiants. Au contraire, en permettant de remplacer des emplois salariés par des places de stagiaires occupées par des étudiants, on ne peut qu’entraîner une hausse du chômage, et sûrement pas l’inverse ! Le chômage n’existe pas à cause des étudiants ou de l’Université[2], mais à cause du patronat et du système capitaliste.

 

- La fin de la valeur nationale des diplômes. C’était une garantie fondamentale : en permettant que chaque diplôme d’un même niveau et d’une même discipline garantisse le même niveau de connaissances, et donc la même reconnaissance au niveau des conventions collectives, un véritable cadre national des diplômes permettrait l’égalité de tous devant le système.

En s’en prenant à la valeur nationale des diplômes, la réforme LMD-ECTS constitue donc un recul à la fois pour les étudiants et pour les salariés.

 

- le désengagement financier de l’Etat. Le désengagement financier de l’Etat maintient la pénurie de moyens (donc de mauvaises conditions d’études), et oblige les facs à se tourner vers d’autres financements : d’une part, celui des régions et des entreprises. Mais également le financement des étudiants : à la rentrée 2004, la hausse des frais d’inscription est de 6,38 % pour les premiers cycles (jusqu’à la licence), et de 34,75 % pour les deuxièmes cycles (master)[3] ! Cette nouvelle augmentation, totalement intolérable, est d’ailleurs passée quasiment inaperçue… Or, d’une part c’est une augmentation très importante, et ensuite elle met en place le principe des études de plus en plus chère suivant le niveau d’études : le but est d’inciter les étudiants à ne pas aller trop loin dans leurs études, en faisant une sélection par l’argent.

 

- l'autonomie. La première étape de cette autonomie remonte à la loi Faure de 1969, qui mettait en place des conseils de gestion propres à chaque université, l’Etat laissant aux profs - avec la « participation » des personnels Iatoss et des étudiants - le soin de gérer la pénurie budgétaire. L’autonomie a été encore renforcée depuis, et un nouveau projet mettant en place encore plus d’autonomie est dans les tiroirs depuis 2003.

L’autonomie des facs, c’est encore plus d’inégalités entre les établissements et surtout entre les étudiants. La but est simple : plus les facs sont autonomes, plus elles sont en concurrence entre elles. Cela rentre dans la logique d’un « marché de l’éducation », où les savoirs ne sont plus considérés comme des biens collectifs à partager, mais comme des marchandises.

Dans le cadre de la décentralisation, c’est l’ensemble des services publics qui sont confrontés à ce type d’attaque visant à casser la cohérence des différents établissements.

 

- la privatisation progressive. L'Université doit être un lieu de création, conservation et transmission de savoirs, indépendant des pressions économiques. Pourtant, que voit-on : stages qui donnent droit à des points « ECTS » (co-attribués par les patrons), sous-traitance au privé dans les facs et les Crous, diplômes « d’entreprise » (Michelin à Clermont-Ferrand, Club Med en région parisienne, etc…), présence de patrons dans les Conseils d’Administrations… Autant de transferts de compétences du public vers le privé, ce qui est la définition de la privatisation. Ce processus vise à mettre fin à l’Université publique, ce qui est contraire aux intérêts des étudiants et des salariés.

Là aussi, ce processus est commun avec de nombreux autres services publics, en france (SNCF, La Poste, EDF-GDF, etc…), en europe, et dans le monde.

 

3- La nécessaire contre-offensive :

 

Face à cette logique, les étudiants et les personnels universitaires doivent se battre, par la grève nationale et des manifestations d’ampleur, pour obtenir l’abrogation de la réforme LMD-ECTS et pour imposer une autre logique :

-         un véritable service public d’enseignement supérieur, totalement gratuit et ouvert à tous (carte d’étudiant = carte de séjour, suppression des frais d’inscription, augmentation des bourses en montant et en nombre) ;

-         entreprises et patrons hors des facs, respect de la laïcité ;

-         refus de l’autonomie des campus ;

-         réengagement financier total de l’Etat, construction de locaux universitaires et de cités-U, embauche massive de professeurs et de personnels Iatoss ;

-         des enseignements de qualité (abrogation des licences professionnelles) ;

-         des diplômes au moins nationaux ;

-         une année universitaire cohérente (abrogation de la semestrialisation) ;

-         des études dirigées vers la formation de l’esprit critique, l’acquisition et la création de savoirs, et pas un bachotage quasi-permanent comme c’est actuellement le cas.

 



[1] Pour : European Credit Transfer System (Système européen de transfert de crédits).

[2] Si l’Etat voulait vraiment « utiliser » l’Université pour faire baisser le chômage, il lui suffirait de créer enfin les milliers de postes de personnels qui manquent dans les facs !

[3] De 141 euros en 2003 à 150 euros en 2004 pour le premier cycle, et de 141 à 190 euros pour le deuxième cycle ! Ceci sans compter la sécurité sociale (180 euros), ni les frais illégaux qui existent sur la plupart des facs (en 2001 les frais illégaux - payés y compris par les boursiers - étaient compris entre 15 francs et 280 francs).

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